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L'Avortement, et les mots ectopiques

Berthe Morisot. Le berceau.
(Berthe Morisot. Le berceau. Source)

Note: Dans cet essai, je présume que l'avortement est immoral, et je me concentre sur le cas spécial des grossesses ectopiques. Si vous êtes pro-choix, veuillez d'abord consulter «Une liste de lecture pour les pro-choix».

1) Introduction

Plusieurs personnes qui se considèrent pro-vie disent: «l'avortement n'est jamais permis, sauf quand la vie de la femme est en danger, par exemple, dans le cas d'une grossesse ectopique».

Selon moi, c'est un terrain très glissant. Au mieux, les gens qui affirment de telles choses utilisent des mots très inconvenants pour exprimer leurs idées correctes. Au pire, ces gens ne sont pas pro-vie, mais pro-avortement. Non seulement ils sont pro-avortement, mais leur exception à la règle, apparemment motivée dans le cas des grossesses ectopiques, est en fait le «Cheval de Troie» responsable pour plus de décès que les Nazis sataniques et leurs camps de concentration.

2) Qu'est-ce qu'une grossesse ectopique, et qu'est-ce qu'un avortement?

«Ectopique» en grec signifie simplement «ce qui n'est pas à sa place». Si quelqu'un emprunte votre marteau, et l'abandonne ailleurs que dans votre boîte à outils, alors ce marteau est «ectopique». À ma connaissance, une grossesse ectopique est quand l'oeuf fertilisé, plutôt que de s'établir convenablement dans l'utérus de la femme, décide de «prendre racine» à quelque part dans une des trompes de Fallope. Le foetus grandit, fait éclater les organes internes qui n'ont pas été conçus pour héberger une grossesse, cause des saignements internes graves, et tue la mère et lui-même du coup.

L'avortement est défini comme la mise à mort directe du fruit de la conception (c'est-à-dire commençant avec l'embryon), voulu soit comme fin ou comme moyen, quel que soit le moyen utilisé (comme la naissance accélérée, la craniotomie, la laparotomie, la césarienne, la pilule abortive, etc.).

3) Que faut-il faire en cas de grossesse ectopique?

Le principe est simple. Si vous voyez une personne se noyer dans la rivière, vous essayez de sauver une vie. Si vous voyez deux personnes se noyer dans la rivière, vous allez essayer de sauver deux vies! Non seulement une femme ayant une grossesse ectopique va mourir, mais son enfant aussi. Deux vies sont en danger, on doit tenter de sauver deux vies.

Conceptuellement, le chirurgien doit enlever l'embryon d'où il est, et idéalement le remettre dans l'utérus de la mère là où il devrait être, pour que la mère comme l'enfant soient sauvés. Pour autant qu'on le sache, ceci n'est pas techniquement possible au moment où l'on se parle (septembre 2004). Donc en pratique l'enfant meurt, et la mère survit.

Alors, si le foetus meurt à cause de l'intervention du chirurgien, pourquoi ne pas tout simplement dire que l'avortement est parfois permissible? Le chirurgien savait d'avance que son intervention allait tuer l'enfant, alors, n'a-t-il pas fait un avortement?

C'est ici qu'on commence à explorer le «Cheval de Troie» dont on parlait. La discussion va devenir un peu subtile, mais par définition, un Cheval de Troie que n'importe qui peut démasquer n'est pas un Cheval de Troie!

4) Le Principe de l'effet double (le «volontaire indirect»)

D'abord, regardons la théorie pertinente. Le Principle de l'effet double peut être résumé ainsi:

«Accomplir une action (ou l'omettre délibérément) est licite même quand ce choix comporte un effet négatif, dans les conditions suivantes:

4.1) si l'intention de l'agent est informée par la finalité positive;

4.2) si l'effet direct de l'intervention est positif;

4.3) si l'effet positif est proportionnellement supérieur ou au moins équivalent à l'effet négatif;

4.4) si cette intervention complexe n'a pas d'autres remèdes exempts d'effets négatifs.»

[Sgreccia, Elio. Manuel de bioéthique. Paris, Mame-Edifa, 2004, p. 181]

Remarquez que toutes les conditions doivent être satisfaites. Même s'il ne manque qu'une condition, le principe ne s'applique pas. Vous pouvez aussi consulter les sources suivantes concernant le Principe de l'effet double:

Catéchisme de l'Église catholique, N° 2263.
Saint Thomas d'Aquin. Summa Theologica, II-II, q. 64, a. 7., dans le «respondeo dicendum».
DANTEC, François. Love is Life; A Catholic Marriage Handbook, Notre Dame IN, University of Notre Dame Press, 1963, p. 52.
etc.

Regardons maintenant comment ce Principe s'applique aux grossesses ectopiques.

5) Une opération pour sauver deux vies n'est pas un avortement

Quelle est la différence entre enlever chirurgicalement le foetus de la trompe de Fallope et le voir ensuite mourir, et procurer un avortement à cette femme (ce qui, dans ce cas-ci, implique probablement enlever chirurgicalement le foetus de la trompe de Fallope, et ensuite le laisser mourir)?

D'une certaine manière, il n'y a en ce moment pas de différence: l'acte est le même (la résection chirurgicale du foetus), et le résultat est le même (bébé mort, mère vivante). Ces ressemblances sont utilisés par les pro-avortement pour bâtir leur «Cheval de Troie».

Pour combattre ce «Cheval de Troie», il faut faire l'effort de voir les différences, pas seulement les ressemblances. Il y a plusieurs différences aujourd'hui, et ces différences ne vont qu'augmenter avec le temps:

5.1) Les intentions de la mère et du chirurgien. La mère de l'enfant et le chirurgien traitant ne veulent pas tuer l'enfant, au contraire. «La guérison de la mère est en vérité le seul but du traitement». Un avortement, au contraire, n'a qu'un but: tuer l'enfant à naître.

5.2) Les égards pour le foetus. «Toutes les préparations possibles ont été faites pour baptiser le foetus». (Voir aussi Canon 871.)

5.3) L'inévitabilité actuelle de ce traitement. «Le traitement utilisé, opération ou autre, tend réellement de par sa propre nature à guérir la mère, et aucun autre traitement n'est disponible qui serait moins dangereux pour le foetus».

5.4) L'évolution de ce genre d'intervention. Le chirurgien qui se retrouve devant une telle intervention va faire des recherches dans la littérature médicale, pour voir si des progrès récents ne permettent pas maintenant de sauver les deux vies. Si la science médicale n'est pas encore assez avancée, ce chirurgien (à cause du Serment d'Hippocrate, et de son désir de respecter le caractère sacré de la vie humaine), va s'efforcer de participer d'une manière ou d'une autre à l'effort pour sauver les deux vies. Peut-être va-t-il inventer lui-même un nouveau type d'opération chirurgicale! Tous les merveilleux progrès de la médecine ont leur source dans ce désir intense de sauver toutes les vies. D'un autre côté, les avorteurs se fichent bien de ce foetus.

5.5) Le nom même de ce type d'intervention. Dès qu'il deviendra techniquement faisable de réinsérer le foetus dans l'utérus, cette opération va recevoir un quelconque nom à la sauce médicale comme «trans-nidification embryonnaire». Même si en ce moment certaines personnes appellent incorrectement cette intervention un «avortement indirect», ce nom-là va changer tôt ou tard.

6) Pourquoi est-ce que les avortements en cas de grossesse ectopique sont un «Cheval de Troie»?

Si la mise à mort délibérée d'une personne humaine innocente est parfois permise, la moralité n'existe plus. Si vous laissez entrer le «Cheval de Troie» de l'Avortement dans la Forteresse de l'Éthique, tout est perdu. Ça va peut-être prendre un certain temps avant que les soldats ennemis, cachés à l'intérieur du Cheval de Troie, décident de sortir, et ils vont peut-être sortir la nuit quand tout le monde dort. Ils pourront même se mêler un certain temps avec les civils à l'intérieur de la Forteresse. Mais tôt ou tard, ils dégaineront leurs épées et s'empareront de la ville.

Historiquement, c'est comme ça que les camps d'avortement sont apparus dans nos pays occidentaux. Les pro-avortement n'ont pas commencé par dire: «Exterminons les enfants handicapés, tout comme les Nazis ont fait en Allemagne, et pendant qu'on y est, pourquoi ne pas aussi inclure tout homme qui nous tape sur les nerfs?» Ils ont commencé avec le «Cheval de Troie» de «l'avortement thérapeutique», qui est probablement la contradiction dans les termes du siècle. La thérapie, par définition, n'est pas pour tuer les gens mais les sauver. L'avortement, par définition, n'est pas pour sauver les gens mais pour les tuer.

Toute l'histoire des «avortements thérapeutiques» a causé une double tendance. Les cas réels de grossesses où la vie de la mère est en danger ont diminué constamment, alors que les menaces imaginaires à la vie de la mère ont augmenté dramatiquement, et sont devenus de plus en plus vagues.

Un grand nombre de ces «indications» ont, à la lumière des progrès de la science et de l'assistance médicale, perdu leur raison d'être. La tuberculose, les cardiopathies, les maladies vasculaires, les maladies de l'appareil hématopoïétique (certaines formes d'anémies), les maladies rénales, les maladies hépatique et pancréatiques, les maladies gastro-intestinales, la chorée gravidique, la myasthenia gravis, les tumeurs (à l'exception de celles de l'appareil génital); toutes ces maladies sont indiquées comme motif à «indications». Mais une étude approfondie de chacune d'entre elles, à la lumière de ce qui vient d'être dit, permet de conclure que le fondement médical de ces «indications» est très réduit et que les cas où, en l'absence d'alternative thérapeutique, subsiste un risque réel pour la vie ou pour la santé de la mère, sont en forte et progressive diminution.
[Sgreccia, Elio. ibid., p. 488].

Des hypothèses sont échafaudées dans ce cadre qui aboutissent à admettre, sous le nom «d'avortement thérapeutique», les cas de l'avortement eugénique (malformation ou maladie du foetus), de la motivation contraceptive (enfant non désiré) et des motivations socio-économiques. Il faut reconnaître que l'extension progressive, au-delà des «indications médicales», a souvent été motivée par des raisons politiques, pour inclure sous la mention «thérapeutique» et sous l'aspect de «réglementation» de l'avortement, toute la casuistique des instances contraceptives et de la «libéralisation».
[Sgreccia, Elio. ibid., p. 486].

7) Conclusion

La prochaine fois que quelqu'un vous narguera avec les grossesses ectopiques, pour vous faire dire que certains avortements sont permissibles, ne laissez pas leur «Cheval de Troie» entrer dans votre forteresse. Donnez-leur ce texte, ou un quelconque équivalent.

En évitant le «mot ectopique» de l'avortement en parlant des grossesses ectopiques, nous contribuerons à sauver des vies innocentes.

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