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Concedo, Nego, Distinguo

Concedo, Nego, Distinguo

1) Introduction

Comment les gens qui ne s'entendent pas peuvent-ils avoir un débat respectueux et constructif?

Je suis encore à la recherche de bons livres à ce sujet, alors en attendant voici ma meilleure tentative:

- S'assurer que tout le monde a une raison en bon état, le contact avec la réalité, et une bonne volonté.
- Respecter la Règle d'or.
- Prendre la seule «Méthode de décision» appropriée: les faits et la logique.
- «S'éloigner» du point en litige jusqu'à ce qu'on trouve un terrain d'entente.
- Proposer, examiner, noter par écrit. Recommencer jusqu'à temps que le problème soit résolu.

2) S'assurer que tout le monde a une raison en bon état, le contact avec la réalité, et une bonne volonté

Avant de commencer une discussion, au moins trois pré-requis sont nécessaires: une raison en bon état, le contact avec la réalité, et une volonté rectifiée.

Une «raison en bon état» implique bien des choses, mais la première et la plus évidente est que le Principe de non-contradiction doit être accepté:

[2.1] Il est manifeste alors qu'un tel principe est le plus certain de tous et nous pouvons l'énoncer ainsi: "Il est impossible que quelque chose appartienne et n'appartienne pas à la même chose en même temps et sous le même rapport"
[Aristote, Métaphysique, 1005b12-20].

Si ce principe n'était pas vrai, alors par exemple «2+2» serait égal à «4» et à «3453» en même temps! Ou vous pourriez être trop gros, et trop mince en même temps! (Oui! Me voici, crème glacée au chocolat!)

On a aussi besoin de contact avec la réalité. Un libellé possible de cette Confrontation avec la réalité est:

[2.2] Il est rationnel, vrai, objectif, réaliste et certain que "Les voitures en marche sont dangereuses pour les piétons". [...] En effet, les lecteurs qui ont été des élèves surdoués à la maternelle vont reconnaître que cette confrontation à la réalité est la version sophistiquée du commandement "Regarde des deux côtés avant de traverser la rue"»
[Hugh Gauch, Scientific Method in Practice, p. 134]

Ni l'un ni l'autre de ces principes ne peut être «prouvé» strictement parlant. C'est parce qu'une «preuve» doit montrer comment un énoncé (qui n'est pas évident) est logiquement causé par d'autres énoncés plus fondamentaux qui sont eux-mêmes évidents. Et ces deux principes sont parmi les plus fondamentaux qu'on puisse trouver!

Mais ces deux principes peuvent être «prouvés» dans un sens large. On peut manifester que les gens qui nient ces principes manquent de cohérence, et les réduire au silence (puisqu'ils ne peuvent rien affirmer sans se contredire eux-mêmes, ou ne peuvent pas traverser la rue sans être transformés en ketchup).

[2.3] Pour le troisième pré-requis, c'est-à-dire la volonté droite (ou «bonne foi»), voir entre autres «Nul n'est aussi aveugle que celui qui ne veut pas voir».

3) Respecter la Règle d'or

En toutes choses, faites aux autres ce que vous voudriez qu'ils vous fassent, car ceci résume la Loi et les Prophètes
[Mt 7:12, aussi Lc 6:31]

Il semble difficile de nier que tous les débats tendent à échouer, non pas par manque de logique, mais parce qu'un ou plusieurs des participants cesse d'être courtois et poli. Je voudrais bien ici affirmer que je n'ai jamais été responsable pour de tels échecs, mais hum, m'enfin, bien, vous savez, ... en tout cas, je m'excuse, et je vais essayer de faire mieux la prochaine fois. Et priez pour ma conversion, j'en ai bien besoin.

4) Prendre la seule «Méthode de décision» appropriée: les faits et la logique

Une des règles les plus importante de tout débat est qu'il faut prendre une bonne «Méthode de décision». En d'autres mots, les adversaires durant un débat vont faire toutes sortes d'affirmations. Nous avons besoin d'un moyen pour décider si ces affirmations sont vraies. D'une certaine manière, la qualité d'un débat va dépendre de comment nous allons décider si une affirmation est vraie.

Voici certains exemples de mauvaises méthodes de décision:

- Celui qui est le plus riche a «raison»; ou
- Celui qui est le plus célèbre a «raison»; ou
- Celui qui est le plus haut dans la hiérarchie a «raison»; ou
- Celui qui a les plus gros bras a «raison»; ou
- Celui qui est un ami personnel du Pape, ou de le Reine, ou de Wayne Gretzky; ou
- Celui qui conduit une automobile éco-responsable;
- Etc., etc.

Lorsque nous examinons une affirmation faite par un participant, nous devons utiliser les faits et la logique pour décider si l'affirmation est vraie. Toute la question des faits est vaste, mais le Deuxième doigt est un bon commencement. Toute la question de la Logique aussi est vaste; un bon survol se trouve ici.

Parmi les mauvaises méthodes de décision dans les débats philosophiques, une des plus fréquemment utilisées est «l'Argument de l'autorité». Saint Thomas d'Aquin condamne péremptoirement cette méthode dans sa Summa Theologica [Ia, q. 1, a. 8, ad 2.]: «Locus ab auctoritate, quae fundatur super ratione humana, est infirmissimus». Et bien sûr, puisque saint Thomas est un saint, et que vous êtes un plouc, il doit avoir raison et vous avez certainement TORT!

Sérieusement, l'argument d'autorité n'est pas toujours mauvais. Il y a bien sûr le cas spécial de la théologie (puisque des affirmations faites par un Être doté d'une l'intelligence infinie ne doivent pas être prises à la légère!). Il y a aussi la technique de débat (dite parfois «Ad hominem») où vous prenez l'affirmation de votre adversaire comme si elle était vraie, et ensuite vous vous en servez contre votre adversaire en déduisant logiquement des conséquences fausses de son affirmation. (D'une certaine manière, c'est fondé sur l'argument d'Autorité, car vous fondez votre argument sur l'Autorité de votre adversaire, qui doit être le plus grand expert au monde sur sa propre opinion!) Finalement, si rien de mieux peut être trouvé, une affirmation faite par un expert est mieux que rien (ce qui mène à tout le domaine de la Dialectique, ou arguments probables).

(D'une certaine manière, toute cette Section répète ce qui a déjà été dit ci-haut sur la non-contradiction et le contact avec la réalité, mais ça vaut la peine d'insister.)

5) «S'éloigner» du point en litige jusqu'à ce qu'on trouve un terrain d'entente

Un débat n'est pas un match de boxe. Vous pouvez donner un coup de poing à un adversaire, mais vous pouvez aussi donner un coup de poing à une personne inconsciente, ou même à un gros sac rempli de sable. Un débat par contre est un effort social pour trouver la vérité. Si un côté n'est pas d'accord avec un énoncé, alors l'autre côté doit essayer de montrer que cet énoncé est vrai, en le reliant d'une manière ou d'une autre avec d'autres énoncés qui sont acceptés par les deux côtés.

S'il n'y a pas de terrain d'entente entre les deux parties, strictement parlant il ne peut pas y avoir de débat. Il ne peut pas y avoir d'effort logique pour connecter les énoncés controversés à d'autres énoncés plus fondamentaux sur lesquels les deux parties s'entendent. Lorsque ceci se produit, vous pouvez avoir une foire d'empoigne, ou un silence de mort, ou un monologue décrivant les péchés des autres, et ainsi de suite, mais vous ne pouvez pas avoir un débat. Un «débat» qui n'est pas précédé de la recherche d'un terrain d'entente n'est pas un débat, mais bien une illusion d'optique (et auditive).

6) Proposer, examiner, noter par écrit. Recommencer jusqu'à temps que le problème soit résolu

Objectivement, un énoncé est soit vrai, soit faux, soit un mélange des deux. C'est pourquoi vous pouvez soit être entièrement d'accord avec un énoncé vrai («Concedo» en latin signifie «je concède»), ou ne pas être d'accord avec un énoncé faux («Nego» signifie «Je nie»), ou être d'accord avec la partie vraie de l'énoncé, et être en désaccord avec la partie fausse (d'où le «Distinguo», c'est-à-dire «Je fais une distinction»).

Subjectivement parlant, ça marche aussi. Qu'un énoncé soit ou non actuellement, objectivement vrai, vous pouvez quand même dire: «Il me semble vrai».

D'une certaine manière, tous les débats constructifs, aussi complexes soient-ils, sont au fond des «symphonies jouées sur le piano à trois notes de la raison: Concedo, Nego, Distinguo». Armé de ce «piano à trois notes», vous pouvez suivre un cycle simple qui consiste à proposer un énoncé, ensuite voir si l'autre partie concède, nie ou concède en partie (Concedo, Nego, Distinguo), ensuite prendre en note les résultats, et recommencer jusqu'à ce que le problème soit résolu.

Selon mon expérience, souvent l'effort honnête et juste, pour trouver la vérité en se servant de cette méthode, s'embourbe rapidement dans une reconnaissance mutuelle d'ignorance. C'est un excellent résultat! Plutôt que d'être fâché contre «l'autre côté», les deux parties se retrouvent devant leur ignorance. Ceci mène à l'humilité (le «Bouclier de la science») et des recherches plus soignées. Au moins, c'est un déplacement dans la bonne direction!

7) Quelques règles supplémentaires

Selon moi, les grands principes ci-haut sont essentiels. Un débat constructif et respectueux ne peut pas avoir lieu sans eux. Mais souvent ces principes ne suffisent pas, et il faut rajouter des règles, comme:

7.1) Trouvez un bon modérateur. Un très bon «terrain d'entente» avec lequel commencer est de s'entendre sur un modérateur. Essayez de trouver quelqu'un qui est bon pour ramener la discussion sur le problème, et pas sur les personnalités des gens impliqués. (Si vous n'avez pas de modérateur, voir le N° 7.7 ci-bas pour une bonne solution de rechange.)

7.2) Étudiez de bons manuels de philosophie. Tout comme un bon fermier doit étudier l'agronomie pour améliorer son rendement, les gens qui veulent récolter la vérité devraient étudier la philosophie. Ma suggestion est de commencer avec le «Gant du philosophe».

7.3) Utilisez le dictionnaire. Tôt ou tard, les termes doivent être définis précisément.

7.4) Numérotez les énoncés. Ceci semble évident, mais j'ai déjà vu des gens argumenter au sujet d'un document aux paragraphes non-numérotés, qui avait une version anglaise et une française (et les traductions ne s'accordaient pas), et ils se parlaient par le moyen d'interprètes! Assurément, ce n'est pas une recette pour le succès!

7.5) Remplacez les mots chargés avec des étiquettes communes. Supposez par exemple que vous essayez de trouver un terrain d'entente entre des groupes pro-choix et pro-vie. Si vous parlez «d'avortement», vous allez déplaire à la moitié de la foule. Si vous substituez ces termes pour «I.V.G. ou Interruption volontaire de grossesse», vous allez déplaire à l'autre moitié. Alors vous pourriez inventer de nouvelles étiquettes pour ces «Pommes De Discorde», comme PDD-1. Vous pourriez ensuite poser une fois pour toutes que «PDD-1» est ce que les pro-vie appellent «avortement» et les pro-choix appellent «I.V.G. ou Interruption volontaire de grossesse». Vous devrez quand même définir «PDD-1» plus précisément, mais au moins maintenant vous avez réussi à dépasser l'étiquette, pour commencer à regarder dans le bocal.

7.6) Passez-vous un «droit de parole». Dans une discussion de groupe, il est très utile de s'entendre sur la durée maximum d'une intervention, et ensuite de se donner un objet quelconque qui incarne le droit de parole (comme une balle de ping-pong, ou même un bout de papier avec «droit de parole» écrit dessus). Le président de l'assemblée passe tour-à-tour cet objet aux gens qui lèvent la main, et il discipline ceux qui parlent sans l'avoir en leur possession, ou qui dépassent la durée maximum d'une intervention.

7.7) Choisissez un moyen de communication approprié. Si par exemple vous avez affaire à un interlocuteur de mauvaise foi, un débat par courriels affiché sur l'Internet élimine plusieurs problèmes:

- vous ne pouvez pas vous faire couper la parole;
- quand l'interlocuteur de mauvaise foi se contredit, vous pouvez facilement référer à un de ses courriels précédents pour le montrer;
- quand l'interlocuteur de mauvaise foi nie l'évidence, vous pouvez en appeler aux spectateurs sur l'Internet;
- quand l'interlocuteur de mauvaise foi change, sans avertir, la définition des mots qu'il utilise, vous pouvez le signaler;
etc.

7.8) Adaptez le droit de parole aux débats par courriels. Si la discussion se fait par courriels, la règle N° 7.6 sur le droit de parole s'applique aussi, mais un peu différemment. Ainsi, il faut éviter d'envoyer plus d'un courriel à la fois (et ne pas envoyer de pièces jointes sans permission), et attendre la réponse avant d'envoyer le courriel suivant. De plus, il faut éviter de demander à notre correspondant de lire plus de mots, que ce qu'on est soi-même disposé à lire provenant de notre correspondant.

Etc., etc.

8) Conclusion

«Argumenter avec ces gens-là est impossible!»

Je réponds: «Distinguo», dépendamment des circonstances entourant le débat. «Concedo», avoir un débat constructif est impossible quand un ou plusieurs des pré-requis décrits ci-haut n'est pas présent. Mais «Nego», si on prétend qu'avoir un débat constructif est intrinsèquement impossible. Ce n'est pas intrinsèquement impossible, puisque les hommes de par leur nature ont la capacité de chercher et de trouver la vérité.

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